Brice Berland
Introduction
Face aux enjeux climatiques, de nombreux gouvernements s’engagent à respecter des objectifs environnementaux en adhérant à des accords internationaux. A l’image des conférences des parties (COP), la signature de ces accords attire une attention médiatique considérable sur les décideurs politiques nationaux et internationaux. Pourtant, le respect de ces engagements est conditionné à l’implication des acteurs à plus petite échelle. Les municipalités, à l’initiative des maires, apparaissent comme des protagonistes cruciaux dans la mise en œuvre de politiques environnementales. Parallèlement, la protection de l’environnement et de la nature est un enjeu qui gagne une importance croissante parmi les électeurs. Par exemple, cette thématique constituait la deuxième préoccupation des électeurs pour les élections municipales de 2020 après la sécurité[1].
Dans une démocratie représentative, les élus ont la responsabilité de transcrire les préférences des électeurs en politiques publiques. Pour ce faire, les élus doivent incontestablement prendre en considération la composition des électeurs présents dans leur juridiction. Cependant, à côté de ce principe, les élus peuvent adopter des comportements opportunistes afin de satisfaire leurs ambitions électorales. Ainsi, les politiques mises en œuvre par les responsables sont aussi le résultat d’objectifs de réélection. Cette idée s’inscrit dans une large littérature en économie relative aux Political Budget Cycles (PBC) ou Cycles Budgétaires Politiques. Ce concept fut tout d’abord analysé au niveau national par Nordhaus (1975) dans un cadre simple d’information imparfaite des électeurs. Il montre que les gouvernements en place sont incités à accroitre l’inflation juste avant les élections afin de réduire le chômage et donc accroitre leurs chances d’être réélus. Ceci malgré les effets néfastes des politiques restrictives qu’ils devront entreprendre après leur réélection afin de lutter contre l’inflation. Par la suite, de nombreuses études se sont intéressées aux PBC au niveau local. Elles montrent, entre autres, que l’existence de PBC peut être conditionnée à un contexte de compétition électorale élevée (Efthyvoulou 2012) ou restreinte aux dépenses municipales les plus visibles auprès des électeurs comme celles liées aux services sociaux et aux routes (Veiga 2007).
L’objectif de cette note est donc d’explorer dans quelle mesure les maires sont susceptibles d’influencer les dépenses environnementales des communes de manière opportuniste afin de satisfaire leurs propres ambitions électorales. Il s’agira de mettre en avant l’existence de cycles électoraux dans un cadre novateur se concentrant spécifiquement sur les dépenses environnementales. La volonté de centrer cette note sur ce type de dépense découle de l’importance que les politiques environnementales détiennent dorénavant pour les électeurs. Dans ce contexte, ces politiques semblent, a priori, favorables à l’émergence de comportements opportunistes.
Par ailleurs, suivant les concepts de la Partisan Theory (Rosenthal, 1995; Garrett, 1998), j’analyserai les comportements opportunistes des maires en prenant en considération leur orientation politique. Selon cette théorie, il semblerait que l’orientation politique des maires puisse influencer les finances publiques locales de manière distincte, en favorisant certains types de dépenses plutôt que d’autres. Néanmoins, dans le contexte de cette étude, l’effet de l’orientation politique n’est pas clairement défini.
D’une part, les maires en poste étant étroitement alignés aux valeurs écologiques peuvent souhaiter augmenter les dépenses environnementales avant les élections afin de maximiser les votes issus de l’électorat écologique qu’ils représentent et ainsi sécuriser leur position. D’autre part, il est possible que de tels maires soient plus susceptibles de prioriser et de promouvoir de manière constante les dépenses environnementales tout au long de leur mandat. En conséquence, des actions substantielles en faveur de l’environnement seraient mises en œuvre tout au long de leur mandat, évitant ainsi le besoin d’augmenter de telles dépenses à la fin de leur mandat. De plus, leur statut pro-écologiste leur confère une position dominante parmi l’électorat écologiste, réduisant ainsi le besoin de manipuler ces dépenses juste avant les élections.
A l’inverse, les maires moins proches des valeurs écologistes, positionnés concrètement plus à droite, peuvent choisir de séduire des électeurs encore indécis et considérant l’importance croissante de l’environnement. Pour ce faire, ces maires en exercice peuvent adopter des politiques plus en faveur de l’environnement pour améliorer leur image politique en prévision des élections.
Afin de satisfaire les objectifs de cette étude, je commencerai par explorer la place des actions environnementales locales en France avant de présenter les données utilisées au sein de cette analyse. J’étudierai ensuite, dans ce contexte, la notion de PBC dans le cadre le plus simple puis en prenant en considération de potentielles effets partisans.
Les politiques environnementales locales en France
En France, les objectifs environnementaux sont principalement déterminés au niveau national et européen. En accord avec la Charte de l’environnement de 2005, toutes les politiques environnementales sont guidées par les principes de précaution, de prévention et du pollueur-payeur. Cependant, l’efficacité de la politique environnementale nationale (ou européenne) dépend largement de sa mise en œuvre au niveau local par les collectivités. Ainsi, les municipalités jouent un rôle crucial dans la réalisation de ces objectifs en mettant en œuvre des politiques environnementales au niveau local, en agissant en tant qu’intermédiaires entre de nombreuses parties prenantes et en fournissant un soutien financier.
Le champ de compétence des autorités publiques locales en matière environnementale est principalement lié aux actions de maintenance, de prévention et de préservation de l’environnement. Ces politiques environnementales locales englobent un large éventail de secteurs, comme l’eau, l’air, les déchets, les habitats naturels, la pollution et les risques naturels. Toutes ces actions sont communément appelées services environnementaux. A la suite des lois Grenelles de 2009 et 2010, les autorités locales furent transformées en acteurs clés du développement durable et de la transition écologique en élargissant leurs domaines de compétence. Par exemple, à la suite de ces lois, les municipalités étaient encouragées à initier des programmes de rénovation énergétique des bâtiments, à mandater des études d’expertise pour les projets liés aux énergies renouvelables et à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Leur domaine de compétence s’est encore élargi à la suite des lois NOTRe de 2015. Toutefois, au-delà de leur prérogative, de nombreuses mesures sont laissées à l’initiative des maires conduisant à des niveaux de dépenses environnementales pouvant largement varier entre les communes.
Statistiques descriptives des actions environnementales ciblées dans l’échantillon d’étude
Cette étude utilise les données issues des bilans comptables des municipalités fournies par le ministère de l’Économie et des Finances français. Toutes les municipalités dont la population dépasse 3 500 habitants sont obligées de fournir une classification des dépenses par catégorie. Ce travail focalise son attention sur les dépenses classées dans la catégorie “environnement”. Cette dernière englobe les dépenses d’investissement et de fonctionnement liées aux services communs, aux actions spécifiques de lutte contre la pollution et aux actions liées à la préservation de l’environnement naturel. Bien que cette catégorie ne couvre pas l’entièreté des dépenses réalisées en faveur de l’environnement par les communes, elle semble révélatrice des démarches entreprises à l’initiative des municipalités pour sa préservation. Selon Aznar (2006), ces dépenses sont un bon indicateur de l’action publique environnementale locale, car elles impliquent des « réalisations matérielles » dans divers domaines tels que l’eau, les déchets, la biodiversité, la pollution ou encore les risques naturels.
Puisque le niveau de ces dépenses reste hétérogène entre les communes et dans le temps, il est intéressant d’analyser quelques statistiques descriptives.
Tout d’abord, concernant l’évolution des dépenses environnementales moyennes des communes au cours du temps, le tableau 1 montre que les dépenses totales d’environnement suivent une tendance relativement stable sur la période, avec une légère augmentation au cours des dernières années. Cependant, il est important de noter que les années pré-électorales sont associées à une augmentation de ce type de dépense. En 2013, on observe une augmentation relativement importante des dépenses totales d’environnement, passant d’une moyenne de 93 000 euros à près de 140 000 euros, principalement en raison des dépenses d’investissement. Par la suite, en 2014, ces dépenses reviennent au même niveau qu’en 2012. La présence d’une hausse semble moins marquée en 2020, malgré une augmentation de 5% des dépenses totales entre 2018 et 2019, suivie d’une diminution de 3% entre 2019 et 2020. Par ailleurs, on peut constater que les dépenses d’investissement représentent en moyenne 32% des dépenses totales, indiquant qu’une grande partie des dépenses est allouée aux dépenses courantes.
Par ailleurs, les dépenses municipales consacrées à l’environnement sont fortement influencées par la population de la commune. Pour illustrer cette idée, le tableau 2 présente deux mesures de la répartition des dépenses environnementales en fonction de la taille de la population de la ville. De manière générale, ces statistiques mettent en lumière un faible niveau des dépenses environnementales, tant par habitant qu’en proportion des dépenses totales. De plus, les deux mesures révèlent que les dépenses environnementales par habitant ou en pourcentage des dépenses totales sont, en moyenne, plus élevées pour les municipalités ayant une population comprise entre 10 000 et 20 000 habitants. Ces mesures diminuent toutes deux de manière significative quand le nombre d’habitants augmente, atteignant moins de 4 euros par habitant ou environ 0,24% des dépenses totales dans les plus grandes municipalités.
Pour finir, les statistiques descriptives de ces données laissent entrevoir la possibilité que les dépenses environnementales et leur évolution dans la période pourraient varier en fonction de l’orientation politique du maire. Avant toute chose, il est important de noter que les municipalités dirigées par un maire d’extrême droite, vert et issu de d’autres nuances politiques[2] sont sous-représentées dans mon échantillon. Par conséquent, les statistiques issues de ces groupes peuvent ne pas être suffisamment représentatives. C’est pourquoi cette description se concentre sur les communes de gauche, du centre et de droite, où le nombre de municipalités est plus significatif. Pour ces trois orientations politiques, les dépenses environnementales par habitant sont globalement stables, sauf pour la période 2012-2013, pour les municipalités de droite. Ce fait stylisé n’est pas surprenant car il correspond à une période pré-électorale, ce qui va dans le sens de l’intérêt de cette étude. Plus surprenant, les dépenses environnementales par habitant sont légèrement plus élevées, en moyenne, dans les municipalités de droite et du centre par rapport aux municipalités de gauche. Il est possible de penser que ce fait s’expliquer par la composition (facteurs démographiques, géographiques…) des groupes issus de l’orientation politique.
Ces statistiques, en plus de nous donner les premières intuitions, informent sur la nécessité de contrôler certains facteurs sociodémographiques et géographiques afin d’isoler l’effet politique sur les dépenses environnementales.
Résultats de l’analyse quantitative des comportements opportunistes des maires
Analyse dans un cadre simple de cycles budgétaires politiques
Pour examiner la présence de cycles budgétaires politiques dans les dépenses environnementales, j’utilise l’approche économétrique suivante :
y_{i,t} = \alpha \cdot y_{i,t-1} + \beta_1 \cdot 1_{\text{ElectionYear}} + \beta_2 \cdot 1_{\text{YearPriorToElection}} + \mathbf{X}_{i,t}^{\prime} \cdot \sigma + \mu_i + \epsilon_{i,t}où y_{i,t} représente les dépenses environnementales totales, d’investissement ou de fonctionnement, \mathbf{X}_{i,t}^{\prime} est un vecteur de variables sociodémographique de contrôle, \beta_1 et \beta_2 sont les paramètres d’intérêt, \mu_i est l’effet individuel de la municipalité i et \epsilon_{i,t} est le terme d’erreur. Parmi, les variables de contrôle, on peut notamment citer la densité de population ou encore la part de la population de plus de 65 et de moins de 14 ans.
Un coefficient estimé positif de \beta_2 signifie une augmentation des dépenses un an avant l’élection. L’estimation de ce paramètre à l’aide de l’estimateur OLS serait biaisée car la valeur des dépenses en t-1 est incluse comme variable explicative dans le modèle impliquant une grande corrélation entre la variable explicative et la variable expliquée. Pour résoudre ce problème, ce modèle utilise la méthode des moments généralisés (GMM) introduite par Blundell and Bond (1998).
Les résultats montrent que des cycles électoraux spécifiques aux dépenses environnementales ne sont pas significativement observables. Néanmoins, certaines tendances pertinentes sont révélées par cette étude. Tout d’abord, l’identification des cycles électoraux est conditionnée au type de dépense étudié. En ce sens, je montre que les investissements en faveur de l’environnement augmentent de 1,153 euro par habitant lors de l’année précédant les élections alors que les dépenses de fonctionnement (ou courantes) restent stables l’année précédant les élections. Ainsi, ces résultats sont en accord avec les conclusions de Foucault, Madies et Paty (2008), qui démontrent que les maires donnent la priorité aux dépenses d’investissement l’année précédant les élections en France en raison de leur visibilité accrue auprès des électeurs.
Analyse de l’effet partisan sur les cycles budgétaires politiques
Ensuite, cette analyse explore si la présence de cycles électoraux est conditionnée à l’orientation politique du maire. En effet, les maires issus de certaines orientations politiques pourraient avoir une incitation plus forte à tirer parti d’une augmentation des dépenses environnementales avant les élections par rapport à d’autres. Les résultats montrent notamment que les municipalités dirigées par des maires de gauche réduisent leurs dépenses environnementales de 0,182 euro par habitant au cours de l’année précédant les élections, tandis que les maires de droite augmentent ces dépenses de 3,45 euros par habitant.
Bien que ces résultats soient peu significatifs, ils semblent révéler des stratégies de réélection distinctes entre les maires de gauche et de droite. La volonté des maires de droite d’accroître leurs dépenses environnementales, particulièrement en investissements, peut être induite par la nécessité de « verdir » leur image politique juste avant les élections et ainsi tenter de séduire un électorat de plus en plus sensible aux enjeux environnementaux[3]. De plus, ces actions peuvent leur permettre d’attirer de nouveaux électeurs qui ont précédemment soutenu des candidats sensibles à l’environnement, réduisant ainsi l’influence de l’opposition sur les questions environnementales. A l’inverse, en raison de leur position solidement ancrée dans le domaine environnemental[4], les maires de gauche peuvent se permettre de réduire légèrement les dépenses d’environnement avant les élections. Cette réduction permet d’allouer des ressources à d’autres types de dépenses que les maires de gauche préfèrent mettre en avant pendant l’année pré-électorale. Cela témoigne d’une réaffectation stratégique de la composition des dépenses dans l’année précédant les élections, dans le but de maximiser leurs chances de réélection.
Conclusion
Ce projet vise à mettre en évidence le rôle du comportement opportuniste des maires dans le choix des actions environnementales locales. Il s’inscrit dans une vaste littérature sur les comportements opportunistes en apportant une contribution nouvelle sur un type de dépense qui, compte tenu du contexte, semble gagner en importance dans le budget des collectivités locales. Cependant, il est important de souligner que ce projet ne prétend pas englober toutes les actions environnementales prises au niveau local, mais se concentre plutôt sur les dépenses relevant des compétences laissées à la discrétion des maires. Cette observation souligne la nécessité pour les collectivités de disposer d’indicateurs permettant de mesurer les dépenses et les recettes liées aux actions en faveur de l’environnement. En plus d’accroître la transparence des politiques environnementales menées par les maires, cet outil faciliterait l’évaluation de politiques devenues majeures.
Bibliographie
Aznar, Guérin, Jeanneaux, Roche, Bretiere, & Herviou. 2006. Quels indicateurs mobiliser pour les politiques environnementales locales ? Une approche à partir des services environnementaux et des conflits d’usage. Géographie Economie Société, 8(3):369–384.
Bond & Blundell. 1998. Initial conditions and moment restrictions in dynamic panel data models. Journal of econometrics, 87(1), 115-143.
Efthyvoulou. 2012. Political budget cycles in the European Union and the impact of political pressures. Public Choice, 153(3-4), 295-327.
Foucault, Madies & Paty. 2008. Public spending interactions and local politics. Empirical evidence from French municipalities. Public Choice, 137, 57-80.
Garrett. 1998. Partisan politics in the global economy. Cambridge University Press.
Nordhaus. 1975. The political business cycle. The review of economic studies, 42(2), 169-190.
Rosenthal, Alesina &. 1995. Partisan politics, divided government, and the economy. Cambridge University Press.
Veiga. 2007. Political business cycles at the municipal level. Public choice, 131, 45-64.
Brice Berland : Normalien au sein du département d’enseignement et de recherche Sciences Humaines et Sociales, j’ai obtenu en 2023 un Master 2 de recherche en économie à l’Institut Polytechnique de Paris où je me suis spécialisé en Économie Publique. Lors de cette dernière année de Master, j’ai pu rédiger un mémoire de recherche en Économie Politique dont cette note retranscrit les principaux résultats. Je suis actuellement assistant de recherche à l’Université de Los Angeles en Californie (UCLA) où mes travaux s’inscrivent dans la continuité de ce projet et me permettent de préparer mon projet de thèse.
[1] D’après l’enquête « La Voix des Territoires » réalisée par Odoxa-CGI pour France Info, France Bleu et la presse en région et publiée en décembre 2019.
[2] Les nuances politiques des candidats et des listes aux élections municipales sont attribuées par les préfets. La nuance se différencie de l’étiquette qui, contrairement à la première, est choisie librement par le candidat. L’attribution d’une nuance est obligatoirement réalisée pour les communes de plus de 3 500 habitants et suit une grille des nuances établie par le ministère de l’Intérieur qui attribue une nuance politique à chaque parti. Pour plus d’information, la grille de nuance établie pour les élections municipales de 2020 est détaillée dans la “Circulaire relative à l’attribution des nuances politiques aux candidats aux élections municipales et communautaires des 15 et 22 mars 2020”.
[3] La part des français affirmant que l’environnement constitue pour eux une préoccupation majeure est passée de 9% en 2013 à 34% en 2022 selon les « Enquête Fractures françaises » de 2013 à 2022 – Ipsos/Sopra Steria pour Le Monde, la Fondation Jean Jaurès, l’Institut Montaigne et Sciences Po CEVIPOF.
[4] D’après l’étude “Quelles actions à mettre en place par les collectivités territoriales pour favoriser la transition écologique avec le soutien des citoyens?” conduite en 2021 par le CREDOC pour l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Frédéric Lebaron (28 mars 2024). Cycles budgétaires politiques et dépenses environnementales des communes françaises. . Consulté le 9 septembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/w4bt